Les secrets du jardin

Si les arbres pouvaient parler, le platane que l’on peut admirer dans le jardin de l’hôtel de Brienne aurait bien des choses à raconter ! Planté en 1710, ce géant, sauvé d’une maladie en 1990, est l’un des derniers arbres datant du XVIIIᵉ siècle à Paris, témoin privilégié de l’Histoire, depuis la colonisation du faubourg Saint-Germain par les élégantes demeures aristocratiques jusqu’à nos jours. 

Lorsque Madame de la Vrillière prend possession de l’hôtel en 1725, le terrain sur lequel il est construit, entouré d’autres propriétés, ne dispose que d’une entrée rue Saint-Dominique. Il existe bien une porte cochère au fond du parc, mais elle donne sur le jardin de la duchesse de Richelieu qui refuse le droit de passage qu’exige sa voisine. Le contentieux prend fin en 1733, lorsque la troisième propriétaire, la princesse de Conti, achète des parcelles supplémentaires qui repoussent les limites du jardin jusqu’aux rues de l’Université au nord, et de Bourgogne à l’ouest. 

La princesse confie à François Leclerc, « dessinateur de plans et jardin », le nouvel aménagement rendu nécessaire par cet agrandissement. Il imagine alors des parterres « à l’anglaise » composés de gazon et de platebandes de fleurs, des « cabinets de verdure » où des petits bassins et des bancs se cachent derrière les charmilles, des cascades de rosiers, de jasmins et de chèvrefeuilles, un potager du côté de la rue de Bourgogne, tandis que depuis le kiosque de la terrasse on jouit d’une vue agréable sur le palais Bourbon. 

L’intervention sur le jardin de Lucien Bonaparte, qui achète l’hôtel de Brienne en 1802, ne relève en rien d’une passion pour les bulbes mais de l’amour qu’il nourrit, contre l’avis de son Premier Consul de frère, pour la belle Alexandrine de Bleschamp. Après avoir installé sa maîtresse dans une maison de la place du Palais-Bourbon, il fait creuser un souterrain depuis sa galerie de tableaux jusqu’à la cour de son amour interdit, qu’il peut ainsi rejoindre en toute discrétion. En 1803, empruntant ce passage pour rendre visite à son petit-fils, Madame Mère, qui dispose d’une des trois seules clés fabriquées, croise un homme qu’elle ne reconnaît pas à la lueur des torches : d’après l’éperon d’argent qu’il perd en fuyant, il s’avère qu’il s’agit d’un des aides de camp de Napoléon… Le souterrain secret ne le sera pas resté très longtemps !

Un siècle plus tard, alors que l’hôtel de Brienne abrite le ministère de la Guerre, il est encore question d’amour dans le récit de Jules Mazé, chef du Cabinet civil de Paul Painlevé : « une petite porte aux gonds rouillés, que rongent lentement les lichens et les mousses, s’encastre dans la muraille de clôture, vers la rue de l’Université. Autrefois, cette porte servait aux galants rendez-vous, qui furent nombreux en ce charmant séjour ; elle s’est entrouverte devant de gracieuses marquises, d’agréables présidentes, de jolies bourgeoises. Aussi la nommait-on la porte des amours ». Il précise toutefois « aujourd’hui, les hôtes de la maison sont, sans doute, plus vertueux car la petite porte reste close ». Condamnée après la réfection du mur, la « porte des amours » a disparu avec ses histoires galantes.  

Si aujourd’hui des secrets se murmurent peut-être encore dans le jardin, son écrin est dédié à la réception des invités de marque, notamment aux ministres de la Défense du monde entier qui sont accueillis au son de leur hymne national joué par la Garde républicaine. Chaque année, quelque deux mille personnes foulent la pelouse à l’occasion de la garden-party du 13 juillet destinée à rendre hommage aux blessés et à honorer les forces armées qui défilent le lendemain sur les Champs-Elysées. Le monticule formé par les racines protubérantes du platane sait se rendre utile à tous ceux qui veulent prendre un peu de hauteur pour apercevoir le Président de la République pendant son discours et immortaliser par une photo ce moment solennel.


Rex et Caracalla

Lors de la préparation du 79e anniversaire de la création du CNR en 2012, Daniel Cordier, résistant de la première heure et secrétaire de Jean Moulin entre 1942 et 1943, a été gagné par l’émotion en reconnaissant dans le jardin de l’hôtel de Brienne le platane tricentenaire : oui, c’est bien sous cet arbre que lui, « Caracalla », et Jean Moulin, alias « Rex », avaient fixé leur point de rendez-vous secret où ils se retrouvaient avant de rejoindre, notamment rue du Four, les réunions clandestines de la Résistance. A l’époque, le mur séparant le jardin de la rue de l’Université, beaucoup moins haut que l’enceinte actuelle, pouvait être escaladé facilement et les broussailles du terrain plongé dans la nuit offraient l’écran nécessaire pour se cacher des Allemands qui occupaient Paris. Ce souvenir confié par Daniel Cordier a été publié pour la première fois dans la bande dessinée L’hôtel de Brienne, au cœur de l’Histoire.

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