Le bureau du général de Gaulle

Si dans nombre de lieux parisiens, il suffit de pousser une porte pour entrer dans l’Histoire, à l’hôtel de Brienne, on n’en finit pas, d’une porte à une autre, d’explorer le palimpseste vertigineux des temps. Derrière l’une d’elle, nous nous retrouvons, dans les pas d’un jeune général de brigade qui vient d’être appelé au Gouvernement d’un pays assiégé, Charles de Gaulle.

L’hôtel de Brienne bruisse de mille légendes. L’une d’elles raconte que le jeune général, qui ne passera, en 1940, que « quelques fractions de jour et nuit » dans ces lieux, avant de rejoindre par la route d’Orléans le destin qu’on lui connaît, prendra tout de même le temps de choisir son bureau, mitoyen de celui qu’avait occupé Clemenceau, mais tourné vers le Nord de son enfance et les jardins qui campent une austérité qui sied mieux à la stature qu’il semble déjà avoir. 

Fermons les yeux. A l’Hôtel de Brienne comme au cinéma, l’éclair d’un instant suffit pour changer d’époque, mais c’est le même bureau, les mêmes objets et la même figure. 25 août 1944, le Général de Gaulle vient d’entrer dans Paris. A bord d’une voiture découverte, il a l’intuition de revenir à l’endroit qu’il avait laissé. Rue Saint-Dominique, ça tire encore, et il faut s’arrêter plusieurs fois avant d’atteindre le numéro 14. Le Général a narré cet épisode fondateur de la geste gaullienne dans ses Mémoires de Guerre, dont un extrait, gravé en lettres d’or, accueille désormais les visiteurs. 

En reprenant possession de ces lieux, c’est une France invaincue, éternelle, qu’il rétablissait dans ses droits. La postérité a moins retenu les petites histoires : l’estafette qui enlève, à la hâte, les bustes du maréchal Pétain quelques secondes avant l’entrée du Général, l’expulsion des membres du Comité d’action militaire, dépendant du Conseil national de la Résistance, qui occupait déjà les lieux… Le geste du Général est le seul qui ait une valeur d’acte devant l’Histoire. 

Par la seule décision de revenir à l’Hôtel de Brienne, et d’y revendiquer – en son nom personnel – la continuité de l’Etat par-delà les turpitudes des années d’Occupation, il fait de la guerre une parenthèse et réinstalle la France à la table des vainqueurs. Comme l’écrit l’historien Maurice Vaisse, dans un article de référence sur cet épisode : « Il s’agit d’affirmer à la face du monde la continuité – et non le rétablissement – de la légalité républicaine ».

La guerre est cependant loin d’être terminée. Le 26 août, tandis que les Parisiens célèbrent la Libération, des avions allemands bombardent à nouveau Paris. Le Général de Gaulle sait que les mois à venir vont être difficiles. La reconstruction du pays sera désormais son grand-œuvre. Et c’est de l’hôtel de Brienne qu’il mènera cet autre combat. Comme l’écrit encore Maurice Vaisse : « il aurait pu s’installer ailleurs ; il ne veut pas de l’Elysée ; il n’entend pas s’installer à l’hôtel Matignon, pour éviter de revêtir la jaquette de président du Conseil de la IIIe République et éviter le fantôme de Pierre Laval ». Ainsi, l’hôtel de Brienne, ayant contourné les heures sombres de l’Occupation, devient le théâtre des riches heures de la Libération et de la Reconstruction. 

Aujourd’hui, le bureau du Général surprend les visiteurs par une apparence d’éclectisme. Certains objets semblent tout juste sortis de la grande cantine de fer qu’il avait laissée dans un coin de la pièce en juin 1940, et qu’il avait retrouvée, dans l’émotion de son retour. Son fils en a témoigné : « Je suis frappé de l’immense satisfaction qu’il ne peut dissimuler, comme quelqu’un qui aurait retrouvé un trésor qu’il avait cru perdu. »

En novembre 2014, dérogeant au protocole pour venir passer la soirée avec Jean-Yves Le Drian, dans les minutes précédant le dîner, le Chef de l’Etat égyptien, le maréchal Sissi, s’était particulièrement attardé dans les bureaux de Clemenceau et du Général de Gaulle. Dans ce dernier, après s’être laissé absorber par la contemplation de chacun des objets, comme pour se pénétrer de la haute figure qui les avait naguère approchés, il avait fini par demander au Ministre la permission de s’asseoir dans le fauteuil du Général – permission qui lui fut accordée. Une fois de plus, la magie de ces lieux venait de conforter, dans le regard étranger, la grandeur de la France.

Un mobilier impérial !

Depuis son départ en 1946, l’aura du Général de Gaulle n’a pas quitté l’hôtel de Brienne et encore moins son ancien bureau situé au premier étage. Au XVIIIᵉ siècle, ce salon d’apparat était utilisé comme bibliothèque par Loménie de Brienne, grand amateur et collectionneur d’ouvrages anciens et de manuscrits. Deux vitrines nous rappellent encore cette destination. Elles conservent des documents variés et des reliures anciennes, dépôts du Service Historique de la Défense, qui retracent l’histoire de la demeure : des facsimilés tels qu’une lettre de Louis Alexandre de Bourbon, une lettre de Joffre pour le Comité de Salut public, une lettre du général Foch ou encore la correspondance de Guerre de Napoléon.

Jusqu’à l’arrivée du Général, la pièce conserva son titre de bibliothèque et servit de bureau au chef du cabinet civil qui devait se tenir à proximité de son ministre installé dans la pièce voisine, ancien cabinet de travail de Loménie de Brienne, mais surtout célèbre pour avoir été occupé par Clemenceau. Jules Mazé écrit en 1927 que la quasi-totalité des ministres de la guerre avait fait de ce bureau leur cabinet : « Je dis presque tous, car quelques-uns, en l’âme desquels, sans doute, le souffle glacé de la politique n’avait pas tué l’amour de la verdure, des fleurs et des oiseaux, préférèrent s’établir dans une autre pièce qui prolonge, sur le même plan, l’ancien cabinet de Loménie de Brienne, avec lequel elle communique, et prend jour sur le parc. »

En installant son bureau dans la bibliothèque, le général de Gaulle suivit donc ces « quelques-uns » et fit le choix opposé à celui du Tigre en préférant le calme offert par le jardin à l’animation de la cour. Plusieurs photographies l’attestent, l’ameublement actuel est celui que connu le Général de Gaulle lors de son passage au Ministère de la Guerre. Son bureau, d’époque Louis XV, a été réinstallé dans la pièce en 1984 à la demande de Charles Hernu. D’époque Premier Empire, l’ensemble de fauteuils à tapisserie au point à fond bleu, en acajou et bronze doré avec accotoirs à tête de cygne, traduit un grand raffinement d’exécution et une filiation que l’on peut qualifier d’impériale puisqu’il fut la propriété du comte Walewski, fils de Napoléon Ier et de la comtesse polonaise Marie Walewska. Quel parcours pour cet ensemble de sièges ! A l’origine situé au château de Saint-Cloud, il réapparut pendant la Seconde Guerre mondiale lors d’une vente à l’hôtel Drouot. Acheté par l’État, il est livré en 1944 par le Mobilier national à l’hôtel de Brienne pour meubler le cabinet de travail du Général. C’est ainsi que le mobilier du comte Walewski a trouvé sa place dans la demeure parisienne qui fut celle de son oncle, Lucien, puis de sa grand-mère, Letizia Bonaparte.

Lorsque l’on pénètre aujourd’hui dans cette pièce, une lettre signée du Général disposée sur son bureau – don du président Jacques Chirac – et son buste réalisé par le sculpteur André Journet en 1996, viennent rappeler à chaque visiteur la présence de l’illustre personnage et les événements qui s’y sont joués.

Découvrez deux autres lieux emblématiques de l’hôtel de Brienne

  • Le bureau de Georges Clemenceau

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  • Le PC Brienne

    Le projet exceptionnel de la restauration du PC Brienne a constitué un tournant dans la mise en valeur de l’hôtel de Brienne avec la patrimonialisation de l’une des pièces les plus secrètes de la dissuasion nucléaire française. Le grand public peut désormais effectuer un parcours sur trois siècles en visitant l’hôtel de Brienne.