Petite et grande histoire de frontons

Que serait un hôtel particulier sans ses façades ? Enveloppes de pierre chargées tout autant d’embellir la demeure que de séduire, du premier coup d’œil, ceux qui la visitent, elles bénéficient, de la part du propriétaire comme de l’architecte, d’un soin particulier. Signes extérieurs d’élégance, elles donnent à lire quelques pages de l’histoire de l’édifice qu’elles protègent. Celles de l’hôtel de Brienne n’échappent pas à la règle.

Les guirlandes, rubans et autres coquilles des agrafes sculptées au-dessus des fenêtres rappellent que l’hôtel a été construit dans les années 1720, alors que les lignes voluptueuses de « l’art rocaille » gagnaient les faveurs d’une société en quête de légèreté. Les mascarons qui ornent les fenêtres centrales, tous différents, sont signés du même sculpteur, Antoine Fauquier, auteur également des deux frontons en pierre blonde de Saint-Leu. Côté jardin, la divine Flore drapée dans une tunique qui semble soulevée par le vent, est entourée de zéphyrs jouant avec des guirlandes de fleurs. Une scène bucolique qui n’est pas sans rappeler, à quelques détails près, un des frontons de l’hôtel de Biron, petit bijou de l’architecture rocaille parisienne qui abrite aujourd’hui le Musée Rodin. Côté rue, deux angelots sortis des nuages soutiennent un cartouche armorié. Si la belle Flore s’est immobilisée au XVIIIᵉ siècle dans le secret du jardin, en revanche les deux angelots ont été les témoins de plusieurs épisodes de l’Histoire.

En 1794, l’hôtel confisqué à son propriétaire, Athanase-Louis-Marie de Loménie de Brienne, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, est transformé en quelques semaines en immeuble de bureaux, pour « l’agence des matières générales » dans un premier temps puis, l’année suivante, pour celle « des subsistances militaire ». Symboles aristocratiques, les armoiries du fronton sont alors grattées et pendant cent-cinquante ans, l’écusson reste nu comme le révèlent des photographies du début du XXᵉ siècle.

Il retrouve sa fonction grâce à un des plus illustres occupants des lieux : le Général de Gaulle. L’hôtel de Brienne, depuis qu’il s’y est installé en août 1944, est devenu le siège du Gouvernement provisoire. Il demande alors que la Croix de Lorraine prenne la place qu’occupaient les armoiries au centre du fronton. Cet emblème sculpté, qui affirme le nouveau pouvoir étatique institué en ce lieu, ne survit pas longtemps au passage du Général : en 1950, à l’occasion de la restauration de la façade, cet élément « anachronique » est supprimé et les angelots portent une fois de plus un blason vide de toute représentation. Cependant, quand en novembre 1970 de Gaulle disparaît, Michel Debré, résistant et gaulliste, alors Ministre de la Défense, décide d’honorer la mémoire de celui dont il fut le Premier Ministre entre 1959 et 1962, en rétablissant la Croix de Lorraine sur la façade. Gardienne de l’hôtel de Brienne où se réaffirma l’indépendance de la France, elle veille toujours sur la cour centrale. Cette association improbable du symbole de la France combattante et libre avec des chérubins potelés et les froufrous d’un ruban confirme qu’en architecture l’Histoire est souvent dans les détails.

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