L’art de la propagande

En mars 1800, Napoléon traverse les Alpes par le col du Grand-Saint-Bernard. Un simple épisode de stratégie militaire qui va devenir, en un tableau dû au talent de Jacques-Louis David, le symbole des victoires de Napoléon. 

Si, pour fermer la parenthèse napoléonienne, les représentations de l’ « usurpateur » sont retirées ou détruites sous la Restauration, elles réapparaissent avec la monarchie de Juillet par la volonté de Louis-Philippe de réconcilier les deux France qui s’opposent depuis 1789. En 1833, il engage ainsi la transformation du château de Versailles en musée, un lieu de mémoire dédié « à toutes les gloires de la France », inauguré le 10 juin 1837. Dans cet espace didactique chargé de raconter l’histoire de France en images, depuis la victoire de Clovis à Tolbiac en 496 jusqu’à celle de Napoléon à Wagram en 1809, la Révolution n’est plus une fracture, mais un des événements du continuum historique qui a permis au pays de se construire depuis plus de mille ans. 

Parmi les toiles de la salle Marengo, Bonaparte franchissant le col du Grand-Saint-Bernard, signée par le peintre Jacques-Louis David, accrochée dans la bibliothèque de l’hôtel des Invalides en décembre 1802 et reléguée dans les réserves du Louvre depuis 1816. Ce portrait équestre représente Napoléon, alors Premier Consul, traversant le col alpin en mars 1800, épisode qui marque le début de la seconde campagne d’Italie. 

Entre 1801 et 1803, David peint cinq versions de ce tableau : la première est commandée par Charles IV pour son palais de Madrid, en témoignage de l’entente entre son royaume et la République française, les trois suivantes par Napoléon, à des fins de propagande, et la dernière, sans commanditaire, est conservée par l’artiste jusqu’à sa mort. Le sujet a sans doute été défini lorsque Napoléon, informé en août 1800 par l’ambassadeur d’Espagne de la commande de Charles IV, convoque David peu de temps après, afin de discuter du tableau, qui deviendra le premier portrait officiel du Premier Consul et un bel exemple du contrôle de son image.

Le portrait d’un conquérant

Par la grâce du pinceau, Napoléon qui, rappelons-le, a traversé le col du Grand-Saint-Bernard à dos de mule, apparaît sur un cheval cabré, coiffé de son bicorne à ganse et cocarde tricolore, le visage idéalisé. Les dessins préparatoires révèlent que David avait envisagé de placer une épée dans sa main droite, mais finalement c’est d’un doigt vengeur de sa main nue que le général en chef indique au spectateur, qu’il fixe de son regard déterminé, le chemin à suivre. Le cheval cabré, le geste grandiloquent et le mouvement du tissu de la cape gonflée par le vent, donnent à la composition un dynamisme que la diagonale du paysage escarpé accentue encore. 

A l’arrière-plan, les artilleurs commencent à gravir la montagne en tirant et poussant des canons. Au pied du fier destrier, outre celui de Bonaparte, les noms d’Hannibal et de Charlemagne sont gravés dans les rochers, en référence aux précédents passages historiques des Alpes qui permirent la conquête de l’Italie. Le nom de Bonaparte se trouve ainsi associé à ceux des plus grands conquérants. 

Dès sa présentation au Louvre en septembre 1801, cet archétype du portrait de propagande a fait l’objet de très nombreuses reproductions. En 1811, à l’occasion du baptême de son fils, le roi de Rome, Napoléon offre à la marraine, qui n’est autre que sa mère Letizia, un vase fuseau en porcelaine et bronze doré, réalisé par la manufacture de Sèvre, dont le motif central, peint par Jean Georget, reprend la scène immortalisée par David. Nul doute que Madame Mère lui ait trouvé une place de choix dans les salons de l’hôtel de Brienne qu’elle habite alors. Louis-Philippe commandera une copie de l’œuvre de David pour l’hôtel des Invalides, afin de remplacer la version originale. Prêté par le musée de l’Armée, le tableau, peint par Briard, accueille désormais les visiteurs du ministère sur le palier du premier étage du grand escalier.

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