A la table de Madame Mère

Après son départ en Italie en avril 1804, Lucien Bonaparte accepte de céder à sa mère l’hôtel de Brienne, qui devient officiellement « le Palais de Madame, Mère de l’Empereur » le 30 ventôse an XIII (21 mars 1805), moyennant la somme de 600 000 francs. Il semble que Lucien lui ait laissé une grande partie de son mobilier et de nombreuses toiles de sa collection - 200 d’après l’historien François Piétri - dont le Bélisaire de David. 

Contrairement à son fils, Letizia reçoit peu, en dehors des membres de la famille. Selon Jules Mazé, « rue Saint-Dominique, elle ne se sentait heureuse que dans son salon bien clos, entourée d’amies sures avec lesquelles il lui était possible de bavarder sans contrainte en travaillant. On parlait souvent de la Corse. » Malgré la vie retirée que mène Letizia, au rez-de-chaussée consacré à la représentation, la grande galerie de Lucien est devenue une salle à manger aménagée pour recevoir de très nombreux convives. Une table de 2,50 mètres de long, dont les dix allonges permettent d’atteindre une longueur de 10 mètres, est accompagnée de soixante-six chaises en acajou, couvertes en tissu de crin.

Quelques belles pièces de sa vaisselle sont conservées à l’hôtel de Brienne. Notamment, quatre-vingt assiettes en porcelaine à bord pourpre, décorées en leur centre de fruits ou de fleurs, qui ont la particularité de porter au dos le nom du motif représenté. Son service à café, attribué à l’orfèvre Jean-Baptiste Claude Odiot, fournisseur de toutes les cours européennes de son temps, est en vermeil. 

Elle possède également une merveille d’orfèvrerie, offerte par l’Empereur : un surtout de table ovale, création du célèbre sculpteur-bronzier Pierre-Philippe Thomire. Au XVIIIᵉ siècle, les centres de table, dont l’apparition semble dater de la Renaissance, se composaient le plus souvent de trois plateaux de glace garnis en cuivre argenté et rehaussés, pour les plus luxueux, de motifs et de figures en porcelaine ou en biscuit. Avec le renouveau des arts décoratifs initié à la fin du siècle et l’avènement de l’Empire se développe un nouveau modèle, de type monumental, entièrement réalisé en bronze, très finement ciselé et doré, à l’or mat et à l’or bruni dans le cas de celui de Madame Mère. Son ensemble comprend vingt pièces (plateau miroir, coupes, présentoir à gâteaux, candélabres, etc.). La coupe centrale représente trois jeunes bacchantes dansant, coiffées de grappes de raisin et de pampres, vêtues de tuniques courtes et légères, toutes différentes, dévoilant leur poitrine. Elles soutiennent une corbeille circulaire ajourée sur laquelle on retrouve le motif des grappes de raisin complété de feuilles de vigne. L’ensemble repose sur une base cylindrique à degré, décorée en applique de putti ailés soutenant sur leur épaule de lourdes guirlandes de fleurs. 

Au début du XIXᵉ siècle, Thomire travaille pour une riche clientèle privée française et étrangère, dont quelques maréchaux de Napoléon, et devient le plus grand pourvoyeur de bronzes d’ameublement pour les résidences impériales. Lucien Bonaparte et l’Empereur possédaient des surtouts signés par cet artiste doué d’une incroyable inventivité. Celui de Lucien (Musée Marmottan) est composé de huit pièces distinctes. L’élément central représente les Trois Grâces d’après Antonio Canova, soutenant un panier. Le 2 février 1884, le catalogue de l’Hôtel Drouot présente à la vente « un très beau surtout de table, époque Empire signé Thomire, composé de deux grands candélabres, une grande coupe ronde et deux coupes ovales en bronze doré au mat, avec ornement et relief de trophées d’armes, Renommées et Guerriers » issu du service de Napoléon Ier au château de la Malmaison. Le surtout de Letizia Bonaparte suscite toujours l’émerveillement des convives lors des dîners officiels de l’hôtel de Brienne.

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