George Clemenceau à Brienne

Nous sommes le 17 novembre 1917 et la guerre entre dans son quatrième hiver. Alors que le pays connaît une crise ministérielle provoquée par la chute du gouvernement Painlevé le 13 novembre, Georges Clemenceau forme un gouvernement de choc afin de reprendre la situation en main.

Extrait du documentaire "Clemenceau, retours sur un destin" de Jean Artarit et Robert Genoud

À dire vrai, la situation est plus grave qu’un simple changement de cabinet, le cinquième en trois ans. Après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames, tandis que des mutineries éclatent, que la révolution embrase la Russie et que les grèves et les discours pacifistes prennent de l’ampleur, le pays est en proie au doute. Fait notable, c’est un adversaire politique, le président de la République Raymond Poincaré, qui appelle le Tigre à exercer la présidence du Conseil, onze ans après avoir connu une première fois ces fonctions. C’était alors une autre époque, presqu’un autre monde, celui de la paix.

À 76 ans, Clemenceau quitte donc ses fonctions de président de la commission de l’armée au Sénat pour rejoindre l’hôtel de Brienne puisqu’il cumule la direction du gouvernement et les fonctions de ministre de la Guerre. Depuis le début de la guerre, il s’est distingué par sa volonté inflexible de poursuivre le combat et de refuser toute paix de compromis. Le 20 novembre, celui dont l’éloquence fait déjà partie de l’histoire de la République prononce devant la Chambre des députés un discours d’investiture qui marque à nouveau les esprits de la représentation nationale : « Nous prenons devant vous, devant le pays qui demande justice, l’engagement que justice sera faite, selon la rigueur des lois… La guerre rien que la guerre. Nos armées ne seront pas prises entre deux feux. La justice passe. Le pays connaîtra qu’il est défendu. » Autant dire qu’il n’y a pas de meilleur lieu pour mettre en œuvre ce programme que le ministère des Armées où il s’installe immédiatement.

Pour le suivre au 14 de la rue Saint-Dominique, Clemenceau a choisi deux hommes de confiance qui l’appuieront dans le travail titanesque qui ­s’annonce. Georges Mendel est chef de son cabinet civil. Âgé de 32 ans en 1917, il fut son collaborateur à L’Homme libre avant de devenir l’un de ses attachés de cabinet en 1908. Pour diriger son cabi­net militaire, le Tigre choisit le général Mordacq, blessé à plusieurs reprises au front et avec qui il a eu l’occasion de correspondre dès avant la guerre. L’un et l’autre convergent sur les nécessaires réformes à mener au sein de l’armée pour soutenir la mobilisation du pays.

L’équipe Clemenceau se met à l’ouvrage, appuyée par des sous-secrétaires d’État, dont certains comme Jules Jeanneney et Stephen Pichon sont des hommes de confiance qui s’entretiennent avec le président du conseil à un rythme quotidien. Les entretiens, très nombreux, auxquels s’ajoutent les séances à la Chambre et au Sénat, rythment les journées de travail. Et il y a surtout ce que la mémoire nationale a retenu : les déplacements en province, qui représentent un tiers de l’activité de Clemenceau, ce qui est colossal. Le nouveau président du Conseil se distingue en effet par sa volonté de suivre au plus près les décisions de l’état-major et par son énergie à venir juger sur pièces de la conduite des opérations sur la ligne de front. Il y rencontre les plus hautes autorités militaires mais aussi les simples combattants dans la tranchée. Il y gagne l’affection des soldats qui le surnomment affectueusement “le Vieux”.

Les mois s’enchaînent, rythmés par les réunions du Conseil supérieur de guerre interallié et par l’arrivée des troupes américaines commandées par Pershing, jamais assez vite et jamais assez nombreuses de l’avis de Clemenceau. C’est également lui qui place Foch à la tête du haut commandement interallié. C’est à la fenêtre de son bureau qu’il reçoit les ovations de la foule en liesse, réunie dans la cour de l’hôtel de Brienne à l’annonce de la fin des combats, le 11 novembre 1918. On se rappellera la phrase de Churchill à son égard : « Dans la mesure où un simple mortel peut incarner un grand pays, Clemenceau a été la France. »

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